Prémonitoire des printemps arabes, Rituel pour une métamorphose est le premier texte de langue arabe inscrit au répertoire de la Comédie-Française.
Première d'exception […] pour la Comédie-Française. De coutume, le vaisseau amiral du théâtre national réserve ses soirs de première à la salle Richelieu. Mais cette semaine, c'est au cœur du centre populaire de Marseille – au Théâtre du Gymnase – que la maison de Molière aura levé le voile sur son ultime création. Pas n'importe laquelle : Rituel pour une métamorphose, du Syrien Saadallah Wannous, avec Denis Podalydès et Julie Sicard à son affiche, se trouve être le premier texte traduit de l'arabe à entrer au répertoire du Français.
Le symbole est d'autant plus fort que cette pièce engagée, écrite en 1994 au temps où Hafez El-Assad tenait encore la Syrie, est de celles qui annoncent clairement ce qui éclôt maintenant sous nos yeux de part et d'autre de la Méditerranée. On pense aux printemps arabes, mais aussi, à écouter de plus près la rhétorique de Wannous, à tous les scandales sexuels et financiers (les affaires DSK ou Claude Guéant, les crises grecque ou italienne…) qui, au même moment, défraient la chronique plus au Nord.
Aux confins de la farce, de la satire et de la tragédie, le théâtre de Saadallah Wannous fait valser tout un petit monde d'édiles en place entre trahisons, mensonges, coups de théâtre et coups de folie. Campant son action à Damas à la fin du XIXe siècle – distanciation historique indispensable pour déjouer la censure –, il dépeint plusieurs destins avant-coureurs de la révolution, sinon du chaos. Ici, le prévôt des marchands est piégé en flagrant délit de débauche sexuelle, jeté en prison. Là, une aristocrate répudiée devient courtisane et dénonce le règne des hypocrisies. Il y a également ce dignitaire religieux, grand mufti de Damas, qui vacille sous l'effet de la passion amoureuse… Propice à toutes les métamorphoses, cette agitation devient alors emblématique des innombrables faux-semblants grâce auxquels le pouvoir – religieux, militaire ou mercantile – se maintient. Mais finit par attiser un sentiment d'injustice et d'asphyxie.
Esprit laïc et libertaire
"Nous avons choisi ce texte avant l'affaire DSK et les printemps arabes !" s'amuse aujourd'hui Dominique Bluzet, directeur du Théâtre du Gymnase. C'était début 2011. En quête d'événements "qui fassent sens et qui réhabilitent Marseille, melting-pot ouvert sur la Méditerranée, dans son propre regard", Bluzet consulte l'administratrice générale du Français. Muriel Mayette lui suggère la pièce de Saadallah Wannous, jouée seulement deux fois en Syrie et sitôt interdite. Wannous, décédé d'un cancer en 1997, reste l'un des auteurs les plus respectés du monde arabe, où ses nombreux écrits sont étudiés, connus, parfois censurés. Bluzet saute sur l'occasion, invite la Comédie-Française "aux portes de l'Orient" dans l'ambitieux ramdam de Marseille capitale européenne de la culture 2013.
Un choix judicieux, passionnant pour les comédiens appelés à jouer dans ce bien-nommé Rituel pour une métamorphose au pas du metteur en scène anglo-koweïtien Sulayman Al-Bassam. "L'une des premières choses que nous a dites Sulayman, raconte Denis Podalydès, c'est qu'à Damas, les fenêtres des maisons ne donnent jamais sur l'extérieur. Cette architecture singulière révèle une culture du secret, de l'étouffement, de l'hypocrisie épaisse comme un mur!" Le décor, ocre, noir et blanc, s'inspire de daguerréotypes. Podalydès reconnaît toutefois en Wannous "l'influence de Brecht plutôt que celle de Shakespeare. La pièce traite, avant tout, du refoulement d'une société." Deux de ses personnages forts sont une femme et un homosexuel qui, soudain, font exploser la vérité. Puis la révolution. "Il y a des archétypes, cela peut paraître un peu naïf. Cela reflète l'engagement d'un esprit laïc et libertaire qui, à cor et à cri, exprime sa fatigue d'être dans cette société du refoulement."
Denis Podalydès souligne au passage que Wannous a écrit la pièce en se sachant malade. "Sans doute pensait-il qu'il n'avait plus beaucoup de temps : on perçoit son envie de se faire entendre, peut-être bien au-delà des frontières…"
En l'occurrence en France. Et donc à Marseille avant Paris. Ce qui n'est pas sans charme pour la troupe : "À Marseille, je sens un enthousiasme, une chaleur, une curiosité, confie Podalydès. Cela change de Paris et de la hauteur d'un public qui se croit plus cultivé. Mais qui est souvent plus froid."
Rituel pour une métamorphose, de Saadallah Wannous. En création au Théâtre du Gymnase à Marseille jusqu’au 7 mai, puis à la Comédie-Française, salle Richelieu, à Paris, du 18 mai au 11 juillet.
lejdd.fr
Pour rétablir son autorité et celle de la religion, le mufti de Damas tend un piège au prévôt des marchands, Abdallah, qu’il fait surprendre en flagrant délit de débauche avec Warda, une courtisane. Puis, pour confondre le chef de la police qui a procédé à l’arrestation, il demande à Mou’mina, la femme du prévôt, de se substituer en cachette à la courtisane emprisonnée. Le prix demandé par Mou’mina en échange de cette humiliation va bouleverser de fond en comble l’équilibre social de la ville : se libérer enfin du poids de son mariage en choisissant la vie de courtisane. Avec son corps, du seul fait de sa beauté, de sa séduction et de son intelligence, Mou’mina, devenue Almâssa (le diamant), va défier et déjouer l’hypocrisie des mécanismes de domination entretenus par les hommes, et mettre ces derniers face à leurs contradictions les plus intimes. Elle paiera le prix fort du chaos qu’elle a engendré.
comedie-francaise.fr