Nous attendions une traduction française des poèmes de Hatif Janabi, né à Babylone en 1952, depuis certes longtemps. Ce poète enseigne la littérature arabe à l’Université de Varsovie.
Mais ... « Qui est-il ? Une sorte de Janus, comme tous les exilés qui font le grand écart entre les deux rives de leur être ? » se demande Jacques Burko. Janabi dit : « L’homme est sujet à l’exagération en tout ; il est la seule créature au monde qui se prépare des pièges à elle-même, et qui s’enorgueillit. »
Lui, homme de paix et de dialogue (il est également traducteur), il édifie une oeuvre reconnue et saluée dans plusieurs langues, et son traducteur se demande : « Que dit la poésie de Hatif Janabi en arabe ? S’enfuir, dire ce qui s’enfuit, s’exiler, dire ce qui s’exile ; pour que, soudain, des mots prennent leur départ, sortent dérober au grand air, par-ci par-là : l’énigme. Ainsi l’exil, qui d’habitude sépare, étrangement unit. »
Et le premier poème nous le confirme: « moi / ma seule voix mord les vents / mon timide regard perce l’étendue. » Seul, face au monde marqué par le malheur. Tout un lexique sans échappatoire : échafaud, compromis, démunis, vautour, pendaison, balles, canons, martyre...Liste sans fin et sans espoir : un tyran succède à un tyran :
Une nuit pluvieuse
j’ai aboyé.
de tant de faim qui point et de tant de solitude
et j’ai vu
les rues se remplir
de loups.
Le temps n’aide pas, car « les années fuient / d’entre mes mains / à la recherche d’un autre », comme Babylone, sa cité natale qui cherche Babylone.
Sous sa plume naissent des poèmes bouleversants dédiés à sa mère et à Bagdad. Dieu semble absent de ce monde ; pire : indifférent, ce qui désespère le poète enfermé dans une « solitude de pierre aveugle et sourde. »
Face à la barbarie, « quand le poète n’a d’autre voix / que son écho / n’a d’autre vin / que son sang / le mot est son offrande / la parole son autel. »
La piété filiale et religieuse transparaît discrètement dans certains chants. De même l’Eros : « Prépare le henné et l’eau de rose ô femme / laisse le voile translucide et l’indulgence chuter sur tes yeux / Oh ! morsure de tes yeux rêveurs. »
Malgré la beauté de son lyrisme, qui ou quoi peut sauver le poète puisqu’il dit que même les poèmes sont sans refuge ? Sans doute lui faudrait-il retrouver son « premier cri » et la foi naïve et absolue de sa grand-mère...
O Dieu du noir
Mon Dieu, y a-t-il secours ?
O mon Dieu,
il se meurt, il se meurt le pays.
C’est donc un homme totalement tourmenté que nous révèle la traduction de Abdelfattah Makoudi, oscillant entre deuil et résurrection.
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Hatif Janabi: « Le midi arabe »
Buchet-Chastel, Paris, 2007
Traduction de l’arabe (Irak) par Abdelfattah Makoudi