Qassim Haddad, un homme à la pudeur toujours intacte malgré les hommages qui lui sont rendus
| Lundi 9 août, journée de poésie au Festival culturel international d'Assilah. Le même espace où se confrontaient les thèses politiques et les pronostics économiques - tantôt optimistes et le plus souvent pessimistes - sur la destinée de l'humanité, s'est transformé en un lieu magique où le temps avait suspendu son vol pour laisser place à la sonorité de la parole poétique. *** A l'honneur, un grand poète arabe des temps modernes. Un intellectuel qui fait l'unanimité sur la grande qualité de ses écrits. Mais un homme à la pudeur toujours intacte malgré les hommages qui lui sont rendus dans les différentes contrées du monde où le mène d'abord sa curiosité intellectuelle, mais également une sollicitation toujours renouvelée d'un public averti. Celui qui lui est rendu par le Festival international d'Assilah, un événement qu'il fréquenta dès la fin des années quatre-vingts, prend une place particulière dans son cœur, dira-t-il. L'hommage «tardif», aux yeux de beaucoup, souligne le lien privilégié qu'il entretient avec le pays et ses homes «La rencontre avec le Maroc remonte au début des années soixante dix », nous a-t-il déclaré. En vérité, elle s'est faite au Liban. Qassim Haddad, qui entreprenait son premier voyage en dehors des frontières de son pays, fera la connaissance de Abdellatif Laâbi. Les deux hommes étaient conviés au pays du cèdre pour participer à la première rencontre de la poésie arabe. Commença alors une relation qui allait durer dans le temps. Le réseau des relations avec les écrivains et poètes marocains s'élargira avec les ans, jusqu'à ce que le poète bahreïni fasse son premier voyage au Maroc au début des années quatre-vingts. Qassim Haddad confesse avoir découvert beaucoup de similitudes, avec son pays, du moins dans le mode de pensée et la manière d'être des populations. Le Bahreïn est un Etat qui, très tôt, prôna l'ouverture dans une région où les conservatismes sont très prégnants. “Pour des raisons diverses, les Bahreïnis ont toujours été loin devant les autres pays du Golfe dans l'édification d'une conscience socio-politique moderne ”, écrivait David Hirst dans le monde diplomatique du mois de mai 2001. Aujourd'hui, les intellectuels du pays se battent - tout comme le font les Marocains - pour préserver les libertés acquises, notamment contre la montée des courants extrémistes. Comme le Maroc, durant les années quatre-vingt-dix, le Bahreïn entreprit au début de la décennie que nous vivons, de libérer ses prisonniers politiques et d'appeler au retour des exilés. La percée démocratique est alors manifeste. Elle est, de l'avis de nombreux militants de la démocratie au Bahreïn, le “ fruit d'une lutte déterminée et de grands sacrifices ”. Des sacrifices auxquels participera Qassim Haddad. En homme libre, il allait s'impliquer dans le large mouvement d'activisme populaire qui émerge durant les années soixante en réaction à un retour sur une situation institutionnelle favorable à la souveraineté du peuple. Le militantisme du poète prendra des formes multiples. Son œuvre en garde les traces. Les intervenants, à la journée d'hommage consacrée au poète au Festival culturel d'Assilah, se sont essayés à une lecture dans le texte pour en révéler les formes parfois audacieuses et souvent suggérées. L'œuvre, délicate et généreuse, de Qassim Haddad est sondée avec la minutie de l'orfèvre par des spécialistes du texte sans qu'elle puisse leur révéler tous ses secrets. La perplexité, mais également la fascination est manifeste chez tous ceux qui se sont succédé à la tribune pour apporter leur témoignage sur l'homme et ses écrits. Mohamed Benaïssa a vu juste en inscrivant ces hommages aux poètes au programme d'Assilah. Son choix est alors pertinent lorsqu'il se porte sur Qassim Haddad. C'est ce que les participants diront à l'unanimité. Le poète s'est montré reconnaissant. Il se dira touché par la délicatesse avec laquelle le ministre des Affaires étrangères et président de la Fondation du forum d'Assilah lui fera la proposition en l'invitant à choisir le contenu et la forme de cet hommage. M. Benaïssa dira pour sa part son admiration pour ce poète hors pair. Une admiration que partagera le public invité à faire connaissance avec la poésie de Qassim Haddad. Le poète égrènera les vers, leur donnant une forte musicalité à la faveur de sa voix rauque qui paraît, dans un murmure, comme une véritable complainte. L'œuvre de Qassim Haddad est un mélange de tristesse et de pessimisme. Elle traduit avec force les réalités de la société arabe contemporaine. Le poète semble se réfugier dans la langue arabe, qu'il maîtrise et dont il dévoile toute la richesse, en s'appliquant avec minutie à en choisir les termes. Un refuge qu'il semble rechercher pour y enfouir ses souffrances et ses plaies. Les souffrances persistent et les plaies restent à jamais béantes. “ La nuit du texte est un rêve dense, plein des êtres et des éléments. elle peut être une nuit qui a plus de présence que les jours d'effacement… Tu révèles le texte comme étant toi-même, tu pleures comme tu pleures sur toi-même. Cette nuit est la tienne, avec laquelle tu te fortifies et tu te vantes ”. Les propos sont du poète. S'il n'a pu expurger les peines, Qassim Haddad est un poète qui perce l'âme de tous ceux qui lisent ou écoutent sa poésie. Ses poèmes résonnaient dans les têtes une fois qu'il avait terminé de les réciter dans la grande salle du Centre Hassan II des rencontres d'Assilah. Dans les rues de la ville, les commentaires abondaient sur la particularité de son œuvre. De mémoire de Zaïlachi, il n'y aurait pas eu de poète dont le passage marquera la ville. Qassim Haddad, ce natif d'Al Moharrag, une région qui le gardera enfermé dans ses murs et marquera son œuvre, s'est essayé à tous les métiers avant de se consacrer à l'écriture et à sa promotion, notamment en participant à la création du club de la famille des hommes de lettres et des écrivains du Bahreïn et de prendre son bâton de pèlerin pour défendre la littérature libre, quel que soit son pays d'origine. Car, l'homme à la stature imposante et à l'aspect réservé, développe une liberté totale de ton dans ses écrits qui sont pour lui, à la fois un acte permanent de naissance et d'agonie. Lematin.ma Assilah-DNES- Khadija Ridouane 10.08.2004 | 18h07 |