Parmi les beaux présents qu'offrait Georges Perec à quelques contemporains amis, celui-ci vient à point pour saluer un des «présents considérables» de ce temps:
L'éclair vrille le ciel calciné...
Ecrire à la craie frêle la villanelle effacée.
vienne le navire à la carène effilée
la fière caravelle
vienne l'île vicinale
arrive enfin l'avenir enraciné
en ce livre ancien vacille la vie vieille
Dans le dernier livre de Franck Venaille (car c'est à lui que Perec dédiait ce poème, le 14 mai 1980), le ciel calciné ne cesse d'être poignardé d'éclairs, et la vie vieille - cette vie qui est ça, tout en n'étant jamais vraiment ça - continue de mouvoir sa grande roue sentimentale, entre valse lente et mauvaise tristesse des jours impairs.
«Disparue, s'inquiète Venaille, la croyance en la résurrection des mots.» Disparue bien que tenacement désirée. Disparue, mais sans cesse appelée du fond ténébreux du temps:
Je me suis égaré dans la banlieue de vivre.
C'était un soir blafard comme je les aime assez.
J'enseignais la solitude.
Donnant cours (magistraux!) à celles et ceux que ce mot, rien que lui, fait blêmir.
Disons que j'écris afin que Gabriel Fauré mette de la musique sur mes mots.
Je suis sans âge, pourquoi dès lors, ne pas unir les forces qui demeurent en moi avec
celles d'un musicien composant, désormais, pour le cosmos.
«Je me suis trompé, s'écrie Venaille, il n'y a rien à vivre sur cette terre.» Un tel aveu, s'il est au coeur du poème, n'est cependant là que pour relancer la roue, et se trouve à tout instant démenti, dans un geste de rageuse ironie:
Très mal je suis.
Pourtant. Etre mal: ah quelle source de joie rustique!
Le soldat aura donc beaucoup marché. L'hommage final au soldat de Ramuz se clôt sur ces deux vers:
Telle fut la fin physique du soldat
Sa vie sur terre ce fut ça
Mais ça, n'est-ce pas encore mieux que rien? Les poètes d'aujourd'hui ne cultivent pas le triomphalisme. S'ils se tiennent en équilibre instable devant le vide sidéral, c'est en regardant la mort en face, en la provoquant et en dénonçant sa victoire. Pour le poète en voie d'extinction d'Homero Aridjis, digne successeur de Paz, le vide est «une pièce en un acte»:
Une chambre. Sur les murs, pas de tableau,
une fissure, une tache, une araignée.
Du plafond, à des cordons pelés
pendent deux ampoules fondues.
L'entrée, sans porte, donne sur un mur vert sale.
La fenêtre, à la vitre cassée, n'a pas d'heure.
Dans un coin, une table sans rien.
Dans le silence qui suit, on n'entend ni pas,
ni voix, ni craquement.
Dans la chambre, personne. Personne ne vient.
La pièce peut durer une minute ou toute une vie.
Cela peut aussi durer tout un perpétuel hiver, celui où nous entraîne Emmanuel Moses. C'est là qu'un certain Monsieur Néant cherche à consoler sa voix:
console-toi en te disant qu'au bout de ce corridor froid et obscur,
resplendit ton âme immortelle: le silence.
«Dans le silence et la solitude on n'entend plus que l'essentiel», notait Camille Belguise dans son journal, Echos du silence. L'essentiel: la voix sourde du poète
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Sep. 2009
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