Mis en français
Par
SIHAM BOUHLAL
JE POSSEDE TOUT CELA
J’ai une maison en pierre
Que je crible de rêves en verre
Une petite tombe
Que je visite tous les matins
Pour m’assurer qu’elle est prête à m’accueillir
Un visage brisé
Que je panse avec des morceaux de musique
Un livre que j’ai perdu lors d’une enfance
Je l’ai retrouvé aujourd’hui derrière ma porte
Ses feuilles se sont fanées, ses mots encore verts
Une amie habile
Qui enfonce dans sa brune chevelure une rose blanche
Me rappelle son avenir
Un oiseau qui n’ose pas regarder le ciel
Chaque fois qu’il se réveille dans une cage
Une mère qui ne cesse de recoudre mes chemises
Alors que j’ai atteints l’automne de ma vie
Un sang que je n’arrive pas à analyser
Parce qu’il est empli de sens
Une patrie qui prend place le matin
Sur le bord de la rivière
Lave ses vêtements dans le sang de ses enfants
Puis chante
Un rêve que je n’ai pas terminé
De peur qu’il ne se transforme en cauchemar
Une défaite révérée
Je la fais asseoir sur un trône
Veille à parer ses joues
Et l’offre aux yeux du monde
Un soleil caché sous ma chemise
Mais l’hiver n’est jamais venu
Un crayon qu’ils ont cassé à dessein
Je l’ai retrouvé sous mon oreiller
Son extrémité est une fleur rouge
Une larme qui brille sous mes paupières
Elle ne sèche pas
Ni ne coule sur ma joue
Un poème très long
Comme la chevelure de ma mère en sa jeunesse
Des fleurs épineuses dans des sentiers de terre
Qui se refusent encore au bulldozer
Un père qui a aimé la cigarette au point d’en mourir
Sur sa tombe ont poussé les filaments verts de nicotine
Un corps que le Temps a épuisé
Une âme qui a épuisé les temps
Et une large poitrine comme un pâturage permis
Que pas une patte de chèvre n’a encore effleuré.
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LE REPENTIR DU CORBEAU
Nous ferons pénitence du croassement du corbeau
De la diatribe de la ville
Nous ferons pénitence de chambres meublées
De tas de batailles et de poèmes
Et de précieuses déclarations
De nos silences et des engagements des perdants envers vous
Des fonds de valises
Troqués contre des fins fermes
Nous ferons pénitence de notre première démagogie
Et nous nous contenterons de peu de paroles
Et au lieu de nos paradis rêvés
Un collier de jasmin nous suffira
Nous reviendrons aux nobles couches avec les turpitudes
Aux pâles femmes
A quelques fils dont les doigts jouent dans nos barbes
Dans les journées de quiétude
Nous dirons : nous nous sommes repentis, c’est fini
Alors que les exils n’aiment pas nos sanglots
Repentis
Ramenez-nous à un pays que nous avons oublié
A bord d’un navire
Un pays qui nous reniera à notre retour
Il nous bannira et nous l’aimerons
Il nous bannira et nous l’aimerons
Il nous bannira
Mais les exils
N’aiment pas nos sanglots
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LA NEGLIGENCE INTELLIGENTE
Dans la poésie il y a une spontanéité, mais elle est fabriquée et non point fortuite. Elle est un exercice de l’art de la négligence intelligente, indescriptible et non enseignable. Enseigner la poésie peut ôter l’écorce d’un talent caché et le faire s’ouvrir dans un horizon d’amour et de liberté, tout comme la marginalisation précoce peut refouler le talent et le rendre prisonnier d’un sentiment qui ne peut s’exprimer. Mais l’on ne peut créer ce talent du néant, comme on ne peut tuer le talent poétique complètement, même si l’on peut l’empêcher de se dire librement. La poésie exprime la singularité du projet linguistique qui rend le poète extrêmement sensible aux mots et à leurs synonymes, à leur étymologie au détriment de la sensibilité des images, c’est pourquoi elle est une sorte de folie.
Les malades dépressifs et les poètes ont en commun et sans aucun doute cette sensibilité linguistique. Ils rattachent le mot à la sonorité son qui lui ressemble ; la différence c’est que le poète est conscient de cela, il connaît son talent, est capable de le développer et de retrancher le superflu dans sa création.
On peut dire que la poésie est une folie sous surveillance alors que la folie est un déversement spontané des mots, gratuit et malheureux.
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