Il y a quelques semaines, tandis que j’avais la chance de me promener dans Rabat, une voix impétueuse me héla. C’était le poète Moubarak Ouassat que je n’avais, de fait, jamais rencontré ailleurs que dans les pages de l’anthologie publiée en 2005 par Abdellatif Laâbi aux éditions de la Différence : La poésie marocaine de l’Indépendance à nos jours.
Moubarak m’avait reconnu grâce au privilège des jumeaux : l’un renseigne abondamment sur l’autre. Nous parlâmes donc de notre regretté Farid. Je savais Ouassat un poète de langue arabe et grand connaisseur et traducteur de la poésie française. Il me paraissait particulièrement injuste qu’il ne soit pas plus largement traduit lui-même.
Heureusement, le poète de Sur la marche des eaux profondes (Toubkal, Casablanca, 1990) et d’Etendard de l’air (Okad, Rabat, 2001) m’annonça la parution prochaine d’Un éclair en forêt , recueil de poèmes donnés à lire dans leur version originale, en arabe, et dans leur version française.
Les traductions publiées ici sont dues à Mohammed El Amraoui et Catherine Charruau, laquelle est l’auteure de traductions demeurées hélas inédites de Mohamed Zafzaf, et aussi à Abdellatif Laâbi quand ce c’est pas à Moubarak lui-même.
Les éditions Al Manar ont publié Un éclair dans une forêt avec le concours du Festival de poésie Voix vives de Méditerranée qui se déroule à Sète, dans le sud de la France, chaque été. Tout ceci est bel et bon car Moubarak Ouassat est un poète dru qui fait s’épanouir sur le papier un horizon d’écorché vif. Ses visions de conteur tout à la fois réfractaire et emporté dans des rêveries abruptes offrent en quelques mots tout un nuancier de vertiges.
Mais cèdons-lui la parole: «Regarde/Ce sont les perroquets/s’échappant de tes pas/qui composent avec des grains de collier/Une sonate sur les difficultés de la parole.»
Moubarak Ouassat, né en 1955 à Mzinda, un village de la région de Safi est professeur de philosophie, chroniqueur littéraire et traducteur en arabe de Robert Desnos et Henri Michaux. C’est là une excellente compagnie! Pas étonnant, de fait, que Ouassat se révèle un poète de la menace universelle, de l’effroi et du combat contre le flou avec les moyens du bord: ironie et vigilance qui se moquent d’elles-mêmes. Et parfois, la tendresse surgit dans une évocation inquiète du lien amoureux.
Cependant, c’est une sorte d’autoportrait que Souvenir, traduit par Laâbi, et l’on peut y lire un précipité exact de l’humeur de Moubarak Ouassat:“Je devais être présent/à la réception/supporter toute cette dureté/ moi qui n’ai jamais dit au ruisseau:/ Tais-toi/qui devais battre monnaie avec les nerfs de mon front/ pour me payer le sommeil/ (…) Lève-toi pour te présenter/à la réception/a dit mon père/ car l’un de nos aïeux/S’est embarqué/ au port des trépassés.“
L’éphémère de l’existence, cela titille Moubarak Ouassat. Quant à sa perplexité, elle s’exprime à la façon d’une divagation qui peut tenir de l’extase: « que peut l’arbre/après que la pluie/a été reportée/et où est mon chemin/ maintenant que la lumière/ se dissimule/dans le tréfonds/de l’or ». Tout ça m’a coûté dix euros; les éditions Al Manar (situées en région parisienne) se faisant un devoir de ne pas m’adresser leurs livres, même comme ici, lorsqu’il s’agit d’une publication subventionnée par la ville de Sète. J’aime lire Moubarak Ouassat. Vous non plus, vous ne regretterez pas votre dépense.
Le Soir