Par Françoise Dargent
L'écrivain franco-libanais est élu au fauteuil de Claude Lévi-Strauss. Il a fait du rapprochement des civilisations et des confessions la pierre angulaire de son œuvre.
La troisième fois aura été la bonne pour l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf, élu jeudi haut la main à l'Académie française au fauteuil de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss. L'auteur du Rocher de Tanios, prix Goncourt 1993, a été élu au premier tour avec 17 voix sur 24 contre trois voix seulement au philosophe Yves Michaux.
Les immortels montrent une nouvelle fois leur souhait de voir sous la Coupole des écrivains d'origine étrangère après avoir élu en 1996 Hector Bianciotti né en Argentine, en 2002 François Cheng né en Chine, et en 2005 Assia Djebar née en Algérie. Amin Maalouf est le premier Libanais a être élu à l'Académie française.
Une belle revanche pour celui qui n'avait obtenu que dix voix mais surtout seize bulletins marqués d'une croix, signe d'un refus catégorique des votants, lorsqu'il se présenta la première fois en 2004. La seconde fois, il s'était finalement désisté, pensant avoir perdu toutes ses chances après avoir irrité les membres de l'Académie pour avoir signé «un manifeste pour une littérature monde» qui proclamait notamment la fin de la francophonie !
C'est pourtant bien avec le français qu'Amin Maalouf est devenu écrivain. «Le français reste pour moi la langue de l'expression et de l'imaginaire» , nous déclarait-il il y a deux ans à l'occasion de la sortie de son dernier livre, Le Dérèglement du monde , un essai paru chez Grasset. Il doit ses premiers souvenirs émerveillé de lecteur à l'arabe mais dans sa famille libanaise, la tradition voulait plutôt que l'on converse en anglais, une coutume que l'auteur installé à Paris maintient toujours aujourd'hui avec ses proches.
Une profonde nostalgie de son pays
L'homme est né en 1949 à Beyrouth. Dès son enfance, le français impose ses droits par l'entremise de sa mère francophone. Celle-ci, chrétienne d'origine melkite, une communauté orthodoxe minoritaire liée à Rome est d'ascendance stambouliote. Elle obtient de son mari, protestant, la faveur que son fils étudie à l'école primaire des pères jésuites lyonnais. L'éducation la plus ouverte possible est une valeur sérieusement ancrée dans la famille. Le grand-père de Maalouf fonda en 1910 une école universelle ouverte aux filles et aux garçons de toutes confessions.
En tant qu'écrivain, Amin Maalouf a fait du rapprochement des civilisations et des confessions la pierre angulaire de son œuvre. Il sera d'abord journaliste comme son père. Il travaille pour le principal quotidien de Beyrouth lorsqu'il est contraint en 1976 à fuir son pays. La guerre civile ravage alors le Liban. Il s'installe à Paris et ne quittera dès lors plus la France. Il est embauché par le magazine Jeune Afrique et couvre de nombreux conflits dans le monde. Après l'écriture d'un essai, Les Croisades vues par les Arabes, il doit son premier grand succès public en 1986 à son talent romanesque. Il convainc les lecteurs avec Léon l'Africain, biographie écrite à la première personne d'un géographe éclairé. Il décroche, en 1993, le prix Goncourt pour Le Rocher de Tanios, L'action se situe dans ce Liban rêvé dont il garde une profonde nostalgie. En 2004, il raconte l'histoire des siens dans Origines, une vaste fresque familiale centrée sur la personnalité de son grand-père, le directeur d'école.
Son œuvre romanesque empreinte d'humanisme fait écho à son travail d'essayiste. Dans Les Identités meurtrières (1989) et Le Dérèglement du monde (2009) il dénonce le gaspillage de notre intelligence collective, renvoyant Orient et Occident dos à dos, dénonçant l'aveuglement des uns et la tentation de vouloir dominer des seconds. L'humaniste critique a trouvé ces derniers années un certain réconfort dans la musique, écrivant plusieurs livrets d'opéras qui ont également été joués.