Louise Labé
Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie :
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure :
Mon bien s’en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Oh, si j’étais en ce beau sein ravie
Oh, si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empêchait envie :
Si m’accolant me disait : chère Amie,
Contentons-nous l’un l’autre ! s’assurant
Que jà tempête, Euripe, ni Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :
Si de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,
Lors que, souef, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.
Baise m’encor
Baise m’encor, rebaise-moi et baise :
Donne m’en un de tes plus savoureux,
Donne m’en un de tes plus amoureux :
Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.
Las, te plains-tu ? ça que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereux.
Ainsi mêlant nos baisers tant heureux
Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moi ne fais quelque saillie.