Mahmoud Darwish est mort samedi 9 août à Houston à 18h 35’ GMT , au Texas.
L’heure : pas loin de l’impérissable « À cinq heures de l’après-midi » de Fédérico Garcia Lorca. A la suite d’une opération à cœur ouvert comme une corrida avec la mort. Au Texas , comme une métaphore ultime d’un exil quasi -perpétuel, à des milliers de kilomètres de sa Galilée natale. Et comme un clin d’œil à un poème de jeunesse et l’homme Peau-rouge qu’il a célébré.
Entre le moment où il est mort et où ces lignes sont écrites -alors que l’attention mondiale est tournée vers les jeux olympiques de Pékin et les échos d’une nouveau conflit dans le Caucase- son décès a grandement focalisé la presse et les médias du monde. L’émotion est grande chez ses lecteurs. Des chefs d’Etat, des rois- c’est dans leurs attributs- ont fait parvenir des messages de condoléances, un deuil national a été décidée par « l’Autorité palestinienne ». Et la critique littéraire n’est pas en reste, unanime à reconnaître que disparaît un grand poète, chantre de la douleur du peuple palestinien, miroir de sa tragédie. Articles empressés ou textes érudits, jamais autant d’hommages et de reconnaissances des quatre coins du monde n’auront été tressés et adressés à un poète du monde arabe.
Exception faite de Naguib Mahfouz qui de son vivant avait accédé au Nobel.
D’expérience, le meilleur hommage vient des rivages de l’adversité.
L’écrivain israélien, A.B. Yehoshua qui considère Darwish- connu en 1960 et rencontré à nouveau à Haïfa en 2007 - comme « un adversaire sur le plan politique et un ami car il était aussi un voisin » lui a rendu hommage et a trouvé une bonne chose que d’apprendre la poésie de l’auteur de « Rita » et de « Inscris, je suis arabe ! » dans les écoles israéliennes…Dans la masse des réactions, des émotions et des admirations, nous avons relevé ces lignes à la fois simples et expressives d’un Marocain anonyme sur la relation emblématique avec Darwish :« A 17 ans j’ai connu Darwich et j’ai découvert l’amour.A 24 ans je redécouvre Darwich, … l’engagement et la révolution avec. A 42 ans …. Darwich n’est plus. Je découvre la nostalgie ! ».
En fait, le poète a fait rêver et mouvoir – ce qui est plus important- deux générations. Mahmoud Darwish nous quitte, nous semble-t-il sur un malentendu. Dont il n’est pas responsable. La « puissance de feu « de son lyrisme y est peut être pour quelque chose dans ce quiproquo entre la réception de son œuvre et son destin de poète. Pourtant ces dernières années, il ne manquait guère dans ses poèmes et ses entretiens de mettre les points sur les i. Face à la déshérence de la cause palestinienne, sa parole est devenue d’autant plus précieuse qu’elle permettait au public du monde arabe entre deux récitals de renouer avec les incantations et l’utopie originelle…On percevait comme un fugace agacement chez Mahmoud Darwish lorsque le public lui demandait tel ou tel autre titre fétiches (Djawas essafar, Passeport, Ahmed El arabi) de l’époque héroïque. Il s’y prêtait de bonne grâce en n’en déclamant qu’un extrait. Il y a un an, il s’expliquait dans El Akhkbar (dont le supplément culturel est dirigé par le romancier égyptien Gamal Ghitany) : « Je réclame d’être traité en tant que poète, non en tant que citoyen palestinien écrivant de la poésie. Je suis las de dire que l’identité palestinienne n’est pas un métier. Le poète peut évoquer de grandes causes, mais nous il nous faut le juger sur ses spécificités poétiques, et non sur le sujet qu’il traite. C’est sur le plan esthétique qu’on reconnaît la poésie, non sur le contenu. Et si les deux coïncident, tant mieux.
Je réclame d’être traité en tant que poète, non en tant que citoyen palestinien écrivant de la poésie. Je suis las de dire que l’identité palestinienne n’est pas un métier. Le poète peut évoquer de grandes causes, mais nous il nous faut le juger sur ses spécificités poétiques, et non sur le sujet qu’il traite. C’est sur le plan esthétique qu’on reconnaît la poésie, non sur le contenu. Et si les deux coïncident, tant mieux ». Dans un autre entretien (il manifesto, du 29 mai 2007) il précisait : « Certains Palestiniens qui vivent dans des conditions difficiles demandent au poète d’être le chroniqueur des événements tragiques qui se déroulent tous le jours en Palestine. Mais la langue poétique ne peut pas être celle d’un journal ou de la télévision, elle doit même rester en marge pour observer le monde, le filtrer à travers un détail » Et avec une modestie, il faut le relever, rare chez les poètes du monde arabe, il ajoutait : « La poésie est un gouffre. J’ai le sentiment de n’avoir rien écrit ». Reprenant le Grec Yannis Ritsos, il définissait la poésie comme « l’évènement obscur », celui « qui fait de la chose une ombre /et de l’ombre une chose, / mais qui peut éclairer notre besoin de partager la beauté universelle ». Ce qui reste d’une œuvre. En ce qui concerne Darwish, elle est suffisamment ample, forte, et transparente pour lui survivre .Dans ses derniers textes, il avait commencé un long et pathétique apprentissage de la mort. Il l’avait déjà croisée et en avait relaté quelques épisodes. Et partant il s’était orienté vers la poésie des choses de la vie, le dialogue avec un brin d’herbe (“Je n’aime pas les fleurs en plastique”, hélas bien répandues dans le monde arabe), les volutes du café qui à lui seul est une géographie.
Epique, lyrique, parabolique, sa poésie ne s’est donc jamais voulue programme politique. De l’activisme politique, il en était d’ailleurs revenu (« je n’arrive pas à faire dirigeant le jour et poète la nuit) sans jamais fléchir dans son engagement aux côtés de son peuple -parmi lequel il vivait à Ramallah assiégé : « j’ai choisi le camp des perdants, je me sens comme un poète troyen, un de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre sa propre défaite. »Mais il observait ces derniers temps qu’une nouvelle descente aux enfers s’ouvrait devant lui des mains de ses propres fils. :
« Nous sommes entrés, nous Palestiniens, dans un phase absurde : l’absurdité des soldats qui, dans la bataille, s’entretuent. Une absurdité fatale. Les significations nous échappent, la route nous échappe, notre image même nous échappe ». Après les la prise de pouvoir de Ghaza par Hamas, il écrit « Dès cet instant ‘’tu’’ est un autre », un texte plein d’amertume, sinon de désespoir : « Nous fallait-il tomber de si haut et voir notre sang sur nos mains... pour nous apercevoir que nous n’étions pas des anges... comme nous le pensions…/ Il a mis son masque, rassemblé son courage, et a tué sa mère... parce que c’est elle qu’il a pu trouver comme gibier.. De l’exil, de l’abandon du peuple palestinien par la communauté internationale, des états de siège, du dénuement, de l’enfermement, du Mur, des fausses illusions des accords d’Oslo, de l’indifférence des pays arabes, de la volonté de puissance et du sectarisme politique et religieux, des affrontements fratricides de la corruption, de l’érosion de l’espérance, de tout cela, Mahmoud Darwish en est mort. Mais du stoïque Troyen de Galilée, retenons surtout cette prière fraternelle : “Mes amis, ne mourez pas avant de présenter vos excuses à une rose que vous n’avez pas encore vue, A un pays que vous n’avez pas visité, A une jouissance que vous n’avez pas atteinte, A des femmes qui ne vous ont pas passé au cou l’icône de la mer et le tatouage du minaret”.
Mais il ne faut surtout pas s’excuser de lire et de relire Mahmoud Darwish !
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