On aperçoit chez Rabia Djelti un rythme interne, fondé sur la reprise d’un mot, d’une cadence et ce procédé tend parfois au maniérisme. Une architecture experte soutient tel un équilibre fragile entre la beauté fugace et la sensibilité féminine qui l’accueille :
« Tous les feux sont entre vos mains
Et entre les deux sourcils une cicatrice
Alors que moi je jette des roses entre mes paumes
Et que ma langue est un chant profond
Ne soyez pas impatients …
Si vous tirez vos braises dans ma direction
Que faire alors lorsqu’arrive le printemps
Et lorsque la tempête des fleurs bombarde
Votre désert. »
Quand on lit ce poème, on découvre que la brièveté (du poème aussi bien que du vers) est l’effet d’un art poussé à peine en-deçà du précieux. Chez elle, un don verbal riche, exubérant parfois, n’est point endigué par l’anti-rhétorique qu’elle pratique. Elle traite les mots comme une matière plastique, comme des signes dont la contrepartie visuelle est immédiate :
« Près de la porte du jour dort la nuit
Tel un chien fidèle
Le jour dort près de la porte de la nuit
Tel un chien fidèle
Mais alors
Où donc se réveille le temps !? »
Comme dans cette Sonate (le titre est de l’auteur), Rabia Djelti a mis beaucoup d’images dans ses poèmes. Elle a visiblement beaucoup lu et tenté maintes expériences. Dans d’autres poèmes, Rabia Djelti épouse les sinuosités du mouvement, le courant de l’eau, du vent poussant les nuages, mais aussi celui de la conscience qui les perçoit :
« Pluie ferrailleuse
Où est-ce plutôt, un taureau vandale qui a rompu ses liens
Qui éplucha la braise de nos corps
Et plongea son orage et ses éclairs dans la mer
Notre sang au-dessus du soleil qui le regarde
Quand les soupirs deviennent ses brasiers
Ses éteignoirs
Ses cendriers. »
Témoignant de recherches inlassables dans des styles différents, la poésie de Rabia Djelti conserve souvent une saveur très algérienne et nullement esthète. Au jaillissement lyrique est substituée une démarche intellectuelle, progressant sur plusieurs plans imbriqués dans un système de références et d’allusions érudites du profond pays.
« Parce que nous sommes de la race des chevaux antiques
Nos hommes ne sont pas des tarets,
Et nos femmes
Ont la patience du palmier grandiose et glorieux
Ne sois pas donc triste, mon enfant
Il y a encore l’envie du monde, à l’horizon
Il y a encore des maisons dans l’entassement des roses
Et Yacine qui étrille sa ‘’Nedjma’’. »
Ainsi, la poésie cesse d’être chant pour devenir jeu de l’esprit ou des sensations. Enfin Rabia Djelti est une poétesse aux merveilleuses « irisations » impressionnistes, fixées en images claires, nettes, un peu graciles parfois, dont il serait injuste cependant de dire qu’elles n’ont pas de retentissement humain.
Tous les extraits de poèmes sont tirés du recueil , Qui est-ce dans le miroir ?
Traduit de l’arabe par Rachid Boudjedra. Editions Dar El Gharb, Oran, 2003.
El Watan