Beaucoup d'auteurs sont séduits par ce réseau social en ligne. D'autres résistent à cet universel bavardage. Enquête sur leurs motivations.
À leur tour, les écrivains sont touchés par le virus de Facebook, ce gigantesque forum sur Internet où n'importe qui peut entrer en relation avec des gens du monde entier. Il suffit pour cela de s'inscrire, en créant son espace personnel, une sorte de page où l'on peut raconter tout ce qu'on veut, absolument tout et n'importe quoi. Enfin pas tout à fait n'importe quoi quand même : la page de Yann Moix qui y avait reproduit un extrait de son prochain livre contenant des propos désobligeants pour les Suisses a été censurée pendant quelques jours. Pour avoir accès à l'espace personnel d'un autre membre de Facebook, il faut demander à être son « ami » : s'il accepte, vous pourrez voir tout ce qu'il écrit, et tout ce que les autres lui écrivent. C'est grisant : en peu de jours, on peut se faire des centaines, voire des milliers d'amis, communiquer avec eux à tout moment. On comprend que l'idée plaise aux adolescents. Mais qu'est-ce que les écrivains vont faire dans cette galère ?
Adrien Goetz, qui précise qu'il fait un usage strictement public de Facebook, en signalant sur sa page les livres et les expositions qu'il a aimés, a son idée sur la question : «Les trois piliers de Facebook sont narcissisme, voyeurisme et exhibitionnisme. Tout ce qui plaît aux écrivains !» Frédéric Beigbeder, qui s'était laissé prendre au jeu de cet immense réseau social, annonçait l'an dernier par voix de presse la fermeture de sa page, dénonçant une « illusion de communion superficielle». Nicolas Fargues, lui, ne s'est inscrit sur Facebook que pour observer, «se nourrir de la vie des autres ». Dans son dernier livre, Le Roman de l'été, il fustige « l'indécence qu'il y a à se mettre en scène, à tenir au courant le monde entier qu'on vient d'aller pisser, à étaler des goûts artistiques faussement audacieux».
Allez fureter sur des pages d'écrivain : certaines sont consternantes. L'un d'entre eux a affiché vingt-quatre photos de lui, à destination de ses 2 019 «amis». Le 18 février, il leur annonce qu'il « a un tout petit peu une gueule de bois ». Commentaire, inspiré, d'un de ses lecteurs : «Un tout petit peu ? Alors tout va bien.» Un autre : «Bah alors, où sont passées nos folles nuits charentaises ?» Du blabla.
Dialoguer avec les lecteurs
Quelques écrivains résistent à ce bavardage généralisé, cet « universel reportage » dont Mallarmé n'avait pas imaginé les dimensions qu'il prendrait un jour. Selon Éric Faye, «un écrivain se dévalorise, se démonétise petit à petit, en s'exprimant trop en dehors de ses livres ». Pour François Taillandier, « cela risque, comme les blogs, de substituer à l'écriture qui tente de faire œuvre, une écriture de l'immédiat, du facile, du vite dit». Jean-Marc Parisis ne veut appartenir à aucun réseau social. Il s'en explique : « La distance, la solitude sont essentielles à l'écrivain. Pour bien écrire, il faut écrire caché, c'est une façon de se respecter, mais aussi de respecter le lecteur. Si vous êtes accessible, sollicité, parasité, c'est foutu, vous ne donnez pas le meilleur au lecteur dans l'écriture. Ce que j'ai à dire au lecteur, je l'écris.»
Beaucoup d'écrivains passent en effet par Facebook pour dialoguer avec leurs lecteurs. Philippe Jaenada ouvre sa page dix minutes par jour, afin de lire les mots doux qu'on lui envoie. Il répond à l'un ou l'autre, gentiment, rapidement, poliment. Cela lui fait plaisir de lire quelques phrases élogieuses sur ses romans. Les auteurs sont humains, ils ont un peu de vanité, besoin de se rassurer, reconnaît-il. Facebook, un pêché mignon ? Éric Reinhardt va plus loin, il aime correspondre avec certains de ses lecteurs. Mais par le biais de messages, et non pas en direct, au vu et au su de tous, comme cela se passe souvent sur ce site. Il a déjà pensé à fermer son accès à Facebook : « Mais je me suis dit que par ce biais il pouvait encore m'arriver des choses, et c'est important pour un écrivain qu'il puisse arriver des choses. Cette idée-là en tout cas est importante, qui induit une attention particulière à ce qui se passe autour de soi.»
Idem pour Serge Joncour, qui se définit comme un solitaire, déteste le brouhaha, se méfie du téléphone, qu'il trouve intrusif. Il aime la forme de sociabilité qu'autorise Facebook, une façon de faire connaissance par l'intermédiaire de l'écrit, de dire des choses intimes en gardant ses distances. Pour lui, « c'est une boîte aux lettres géante ». C'est aussi une constellation de petites fenêtres : on se met à la sienne, pour regarder ce qui se passe chez les autres. « J'aime bien observer le voisin, derrière mon volet. C'est comme dans le village où j'ai grandi, poursuit Joncour. Quand on passe devant une maison, si les bêtes ne sont pas sorties, si le linge n'est pas étendu, on devine que quelque chose est arrivé, on demande des nouvelles. » Aller voir la page de quelqu'un avant de lui envoyer un mot permet d'éviter des indélicatesses. « Alors qu'avec le téléphone, il y a toujours un risque, celui d'appeler une personne au moment où elle se trouve chez son cancérologue. »
«Comme un troquet»
En fait, chaque auteur utilise Facebook à sa manière. «C'est comme un troquet. Il y a celui qui file s'asseoir au fond de la salle. Et d'autres qui disent bonjour à la cantonade, s'assoient au bar, causent avec tout le monde, font des blagues », explique encore Serge Joncour, qui appartient plutôt à la première catégorie. Son ami David Foenkinos, lui, ne cache pas qu'il est du genre bateleur : «Comme j'ai 4 000 amis, j'ai des discussions dans tous les sens. C'est un espace ludique.»
D'autres auteurs ornent leur page, au jour le jour, d'aphorismes de leur cru, le plus souvent dépourvus d'intérêt. Plus amusante, l'idée qu'ont eue certains lecteurs de créer une page pour le personnage d'un roman. C'est arrivé à Pénélope Breuil, l'héroïne de deux romans d'Adrien Goetz. Même chose pour Angèle Rouvatier, le personnage principal de Boomerang, de Tatiana de Rosnay. Les deux jeunes héroïnes sont d'ailleurs « amies »… « Imaginez que tous les personnages des romans commencent à exister ensemble, à se parler, dans le monde virtuel. Ce sera une comédie humaine interactive, où les héros de roman réaliseront enfin le vieux fantasme d'échapper à leurs auteurs ! » s'amuse Adrien Goetz. Le virtuel, une zone frontalière entre l'imaginaire et la réalité
Le Figaro
02.03.2010