Traduits par: Suzanne El Lackany
Le Pastoral
Elle me brise et …
Comme une noix
Elle porte ses tentacules, son impulsion et ses fragments mouillés
Et s’apprête à la vie.
Elle m’élève
Comme une mûre qui ouvre son velours
Et fait don de son suc à un rustre villageois
Qui porte une pioche
Et un panier de raphia.
Il est dur le bois de la noix
Le nectar de la mûre est tendre
Et entre eux se trouve une jeune fille
Qui ne peut que t’aimer
Et qui n’a appris que la couleur de tes yeux
L’instant de la prière de la nuit.
Tu me dis :
Un nœud
Dont les fils se sont amoncelés par l’action des prêtres
Qui n’ont pas lu le Livre
Alors ils ont plié la tente
Et toi qui es une femme
Qu’on n’enlace pas,
Et moi le Pastoral
Qui t’a fait éprouver les peines.
Sous le grain de raisin-là
— Brodé de ses feuilles —
Je vais dénouer des enchevêtrements
Et des fils
Et des bourgeons
Qui se sont condensés autour de ton cocon,
Et je dis :
Mon cocon
Des chenilles de ver à soie l’ont fait jaillir
Des années, des décennies et des talismans
Et là-bas des épines dans les corolles
Alors sois prudent !
Et tu dis :
Mon doigt
Le mot de passe.
Le doux toucher de mon cou
Maintenant entre tes mains
Ne ressemble pas à la montagne que je porte dans ma jarre
Là où je vais,
Mais la montagne
Sait comment respirer
Ne serait-ce qu’une fois
Pour un païen
Qui s’habitue chaque jour à l’hérésie
Et une femme
Qui porte beaucoup de secrets
Et des tourments
Mais à la place du cœur
Il y a une perle de verre bleu.
Syrie, août 2007
J’abaisse le balcon pour que tu viennes
Ma fenêtre est baissée au matin
Je l’élève le soir
Et tu ne viens pas
Ta voix seule
Parvient
Elle ne dit pas viens
Mais :
Epie les étoiles dans le ciel
A chaque fois que s’éteint une étoile
Je franchis un mille
Vers toi.
Les étoiles
Se dotent chaque nuit
D’une étoile
Et la vaste maison
N’est pas immense
Seulement froide
C’est-à-dire
L’air dans ma maison
C’est trop pour un seul nez
Et je ne crains pas la solitude
Mais je suis occupée par la recherche des âmes évanescentes
Dans ma maison
Bien que je n’aie
Aucun moyen d’anéantissement
Et dans ma main il n’y a pas un bâton
Mais l’âme y manque !
Même la fourmi !
La fourmi cavalière
La paisible fourmi que j’ai appelée « intimité »
Qui paraît chaque nuit
De la fissure de la dalle de la cuisine
Pour me dire que ta soirée soit de sucre
Et je lui donne à manger un grain de sucre
Ne m’a pas visitée depuis deux jours !
Une étoile maintenant
Est sur le point de s’éteindre
Je vais abaisser le balcon
Avant qu’elle ne revienne sur sa parole.
Le Caire, le 30 octobre 2007
Je crains la couleur blanche
A celle qui est partie
Et que vais-je faire des sacs de riz et de sucre
Et de petits pois secs
Et des têtes d’ail
Que j’ai trouvées dans ta cuisine ?
Et qu’est-ce que je fais de ton chat blanc
Accroupi dans le séjour
En silence il contemple la porte de l’appartement
Ses oreilles tremblent
Avec chaque pas dans l’escalier ?
Qu’est-ce que je fais
Des photos de famille sur le mur blanc ?
Des portes blanches
D’un rideau blanc immobile
Parce que les persiennes sont fermées ?
De la vieille voiture blanche
Qui n’est plus en bas de la maison ?
D’une serviette de bain blanche qui porte ton odeur
D’une touffe de tes cheveux blanche
Accrochée au peigne
D’un châle de soie blanc
Qui a uni tes épaules accablées de peines ?
De ma mélancolie
De ma peur ?
Est-ce que je la vends et je me procure des cachets de somnifères ?
Est-ce que j’échange son prix contre un vieux père
Dont j’ai oublié les traits,
Et une mère
Qui ne voyage pas pour une cure
Et me laisse seule ?
Suffit-elle ?
Retourne
Et épargne-moi la moitié du prix.
Le Caire, le 27 mai 2007
L’idiote du village
J’ai besoin de pleurer
Oui !
Moi la fille
Qui confond les rues
Et se trompe dans les comptes et le calcul
La fille qui rit tout le temps
Et qui avale les sourires des passants
Lorsqu’elle ne sait si c’est de la dérision
Ou de la pitié
Elle porte son chat sur la poitrine
Elle parcourt les chemins du village avec sa djellaba élimée et ses cheveux ébouriffés
Et de sa poche déchirée
Tombe l’écorce des fèves
Et les bouts de pain sec
Ses dents sont tombées à force de rire
Alors elle les a avalées
Car elle n’a pas de mère pour lui apprendre le rituel du soleil
« Soleil, ô Soleil »
Et parce qu’une vieille femme
Qui s’assoit à Bab El Khalk
Lui a appris
Qu’avaler la dent
Fait pousser une autre
Pour cela elle ne s’est pas débarrassée des morceaux desséchés
Et ronger ses ongles jaunes a été repoussé
Jusqu’à la saison des dents.
Seule
Esseulée
Sans famille
Sans amis
Et les gens n’ont pas réussi à l’aimer
Elle chante
Malgré sa mauvaise prononciation
Et malgré la disparition du sîn, du chîn, du thâ et du sâd.
Un homme l’a crucifiée sur la noria du village
Et lui a fait un enfant
Elle l’a nourrie de son pain dur
Alors elle est morte
Elle n’a pas de famille et pourquoi les gens ne peuvent pas l’aimer ?
A la fin, elle a pensé pleurer
Oui
L’idiote du village a besoin maintenant de pleurer
Sur ton épaule à toi
Toi qui ne la grondes pas
Lorsqu’elle se trompe en comptant ses doigts
Et qui n’épies pas sa cuisse
Quand l’habit est remonté
Devant l’embrasement du four.
Le Caire, décembre 2006
Fatima Naoot est née au Caire en 1964. Poétesse et architecte de formation, elle a déjà publié 10 œuvres entre recueils de poèmes, traductions et écrits critiques. Son 5e recueil de poèmes Qarouret samgh (flacon de colle) a reçu le premier prix du poème arabe à Hong Kong en 2006, et a été ensuite traduit vers l’anglais et le chinois en 2007. Parmi les recueils de Naout qui se classe sous le label du poème en prose, Naqrat isbae (claquement de doigt, GEBO, 2002), Qétae touli fil zakera (bande verticale dans la mémoire, GEBO, 2003), Heykal al-zahr (structure de roses, Dar al-nahda al-arabiya à Beyrouth, 2007). Parmi ses traductions Machgoug bi faës (fendillé par une pioche, l’Organisme général des palais des cultures, 2004), qui est une anthologie de poèmes américains et anglais. De même que Poches alourdies par les pierres, autour de Virginia Woolf, dans le cadre du projet national de traduction, en 2005.