Extraits
L’ordre logique s’effondra avec le toit
nous applaudissions les pluies entre nos murs
rapiécions avec ferveur les accrocs des toiles d’araignée
Nous étions fétichistes
irrévérencieux
ma mère tirait les cartes aux merles moqueurs
mon père frappait le sable
frappait Dieu
à la saignée des nuages
sur le dos courbé de l’air
Notre salut viendrait de la nature
nous attraperions les rousseurs des automnes
le dénuement de l’hiver
nous finirions en sarments
en fagots
pour affronter les colères brèves des résineux.
Anthologie personnelle, poésie, Actes Sud, 1997, p. 27.
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La surface d'un automne . . .
La surface d'un automne
est inversement proportionnelle à la hauteur de sa tristesse
le nuage interrogé multiplie sans difficulté le basilic par le safran.
Répète après moi :
la distance entre deux pluies se mesure par arpents de silence
et le périmètre d'un mois est divisible par son rayon de lune.
Cela va de soi.
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Extrait de « Quelle est la nuit parmi les nuits », Ed. Mercure de France, 2004
L’alphabet qui s’est arrêté devant la porte du riche sort
d’un trou de terre entre deux terres
du hoquet d’un trèfle boiteux
de la toux d’un cerfeuil grabataire
on lui a parlé de livres qui dorment debout comme les chevaux
de pages serties de pierreries comme ciel d’août
comme tiare de sultan aimé de son harem
les enluminures saignent lorsque la lampe par mégarde incendie
une luciole
des centaines d’ailes expriment rage et désapprobation
les hommes ne peuvent en dire autant
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Elle craint de perdre de vue son image
de ne plus savoir à quoi elle ressemble
de perdre de vue sa maison
de ne plus savoir si la porte s'ouvrait à l'ouest
d'apprendre qu'un chemin a pénétré chez elle
empilé les chaises sur la table
que le platane du rond-point s'accoude sur sa rambarde
sa crainte de ne plus savoir éteindre le soleil
pour évacuer le sanglot à l'étroit dans sa gorge
Quelle est la nuit parmi les nuits. - Mercure de France, 2004. - 132 p.
La forêt a peur
La forêt a peur
Une forêt peureuse
panique à la vue du soir
Tout l'angoisse
les cris des chouettes
leur silence
Le regard froid de la Lune
et l'ombre de son sourcil sur le lac
Le bouleau claque des dents
en se cachant derrière le garde-champêtre
Le frêne s'emmitoufle dans son écorce
et retient sa respiration jusqu'au matin
Le pin essuie sa sueur
et appelle son père le pin parasol
La tête entre les jambes
le saule pleure à chaudes feuilles
et fait déborder le ruisseau
Le roseau qui ne le quitte pas des yeux
L'entend supplier le ver luisant
d'éclairer les ténèbres
Seul le chêne garde sa dignité
à genoux dans son tronc
il prie le dieu de la forêt
de hâter l'arrivée du jour ..
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